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Femmes ingénieures : une féminisation lente mais en progression de la profession.

Le nombre de diplômes d’ingénieurs délivrés en France augmente chaque année un peu plus. Si la féminisation de la profession progresse elle aussi, elle est malgré tout beaucoup plus lente. Les femmes représentent aujourd’hui 20,5% des ingénieurs, tous secteurs confondus, selon la 29ème enquête nationale sur les ingénieurs menée par l’IESF en 2018. Dans le dernier podcast « Les conversations » de Bordeaux INP, nous avons donné la parole à un trio de femmes ingénieures. Ici nous revenons plus en détails sur une féminisation progressive des études et de la profession d’ingénieurs.

A l’occasion du 6ème épisode du podcast « Les Conversations de Bordeaux INP », nous avons réuni Anouk Barrère, ingénieure diplômée de l’ENSEGID - Bordeaux INP, directrice de projets spécialisée en sites et sols pollués et hydrogéologue en génie civil, Isabelle Gosse, directrice et enseignante à l’ENSCBP - Bordeaux INP et chercheure à l’ISM (Institut des Sciences Moléculaires - Bordeaux INP / CNRS / université de Bordeaux) et enfin Léa Le Moal, élève-ingénieure à l’ENSC - Bordeaux INP.

Les femmes dans les filières scientifiques

Aujourd’hui les femmes restent encore sous-représentées dans les filières et les métiers scientifiques et techniques, notamment ceux liés aux mathématiques, à la physique ou à l’informatique. 

Selon les Résultats enquête 2018 RERS*, 30 % des filles s’orientent vers une première scientifique après la seconde en 2014, contre 39 % des garçons. Toujours selon cette étude, elles sont 37 000 femmes à s’inscrire en classes préparatoires aux grandes écoles  (CPGE), soit 42,8% des effectifs. Mais surtout,  elles se dirigent majoritairement vers les classes préparatoires littéraires, en représentant 3 élèves sur 4. A l’inverse, elles sont moins présentes dans les classes préparatoires scientifiques et ne comptent que pour 31,1% des effectifs.

«  En AL ( ndlr : prépa littéraire) il y avait plus de filles et en BL ( ndlr : prépa lettres et sciences sociales), où il y avait beaucoup plus de sciences, il y avait plus de garçons. »

Léa Le Moal, élève-ingénieure en 2ème année à l’ENSC-Bordeaux INP

Les femmes représentent 56,9% de la population universitaire et si la parité semble être respectée on observe néanmoins qu’elles restent majoritaires en langues (73,3 %), en arts, lettres, sciences du langage (69,5 %). Du côté des formations scientifiques, on note 40,4% d'étudiantes en 2017, soit une augmentation de 1,6  point en dix ans. Dans les écoles d’ingénieurs, la part d’étudiante diminue drastiquement puisqu’elles ne représentent que 27,7% des effectifs en école d’ingénieurs...

Alors pourquoi cette sous-représentation ?

Dans son ouvrage « Education et formation : L'égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, dans le système éducatif » le Ministère de l’Education en 2018 rappelle que : "Les écarts de compétences entre les filles et les garçons dans les matières scientifiques sont faibles et ne peuvent expliquer qu’une petite partie de ces écarts d’orientation. La confiance en soi, les normes sociales et les stéréotypes de genre sont en revanche de plus en plus invoqués comme des facteurs explicatifs prépondérants. ».

«  Nous le percevons lorsque nous faisons des entretiens de recrutement dans l’école (ndlr : L’ENSCBP - Bordeaux INP). J’ai l’impression que les jeunes filles ont tendance à se sous-estimer un peu plus et à se remettre en question plus facilement : «  est-ce que je suis vraiment assez douée pour suivre ? ». Nous avons pu voir à plusieurs reprises des jeunes femmes qui étaient dans les premiers résultats de leur promotion en DUT, se demander si elles avaient le niveau requis. C’est quelque chose que l’on observe plus chez les filles que chez les garçons. En tout cas elles semblent le verbaliser plus. » 

Isabelle Gosse, directrice et enseignante à l’ENSCBP - Bordeaux INP et chercheure à lISM.

« Statistiquement les filles ont une meilleure réussite scolaire, mais en ce qui concerne l’insertion dans le milieu professionnel, elles sont beaucoup moins présentes. Je pense que c’est vraiment une question de représentation sociale. Par rapport à la compétitivité par exemple, que l’on peut rencontrer en classes préparatoires, je pense que les filles sont moins préparées à ce genre d’environnement. (…) en ce qui concerne les représentations individuelles ils (ndlr : les garçons) sont peut-être plus sûrs d’eux (…) Les femmes sont beaucoup plus mises en retrait dans la compétition. »

Léa Le Moal

Et dans les écoles d’ingénieurs ? Qu’en est-il ?

 

Même s’il reste des efforts à faire pour atteindre la parité, les étudiantes sont assez bien représentées au sein de Bordeaux INP et comptent pour 37% des effectifs toutes filières confondues. Malheureusement, ce chiffre baisse de presque 10% lorsqu’on regarde les chiffres nationaux. D’après une étude menée par l’Éducation Nationale en 2018, les femmes représentent en effet 27,7% seulement des effectifs des écoles d’ingénieurs. Selon un article de Les Echos Start, qui s’appuie sur une étude menée par l’association Elles Bougent en 2016, « la moitié des ingénieures interrogées ont choisi leur voie après avoir consulté leurs proches. (…) Ce sont ensuite les conseils des professeurs, les journées portes ouvertes et les salons étudiants qui sont le plus cités. » 

Anouk, Isabelle et Léa sont unanimes, pour chacune d’elles le goût pour les sciences remontent à l’enfance. Elles s’accordent également pour dire qu’elles n’ont à aucun moment été freinées dans leur volonté de se spécialiser dans des études scientifiques, bien au contraire.

« J’ai été portée par des professeurs qui ont su me faire passer leur passion et leur envie de continuer dans cette voie là. »

Anouk Barrère, ingénieure hydrogéologue diplômée de l’ENSEGID - Bordeaux INP

«  J’ai eu le sentiment que l’on était dans une dynamique plutôt positive et que c’était perçu comme honorable de se lancer dans ce domaine là, qui est principalement masculin. Venant d’un milieu littéraire, c’était assez atypique. De ma classe préparatoire on est très peu aujourd’hui à faire des études d’ingénieurs. »

Léa Le Moal

Des filières connotées plus « féminines » ? 

Comme le démontre les chiffres sur la part des femmes dans l’enseignement secondaire et supérieur, l’écart se creuse dès les premiers choix de spécialisation. Isabelle et Léa confirment que certaines filières sont identifiées comme « plus féminines ».

« [A l’ENSCBP - Bordeaux INP], on a le département agro-alimentaire qui est très largement féminin, (…) et le domaine de la chimie où l’on retrouve une certaine parité. Je pense que c’est lié à une représentation que peuvent se faire les filles de ces secteurs là. L’agroalimentaire c’est nourrir, la chimie ça peut être fabriquer des médicaments et soigner, la biologie est réputée pour être un secteur plus féminin. (…) C’est peut-être très caricatural, mais je pense qu’il y a aussi cette culture que l’on a absorbé depuis l’enfance et qu’il est facile de  tomber ces schémas. (…) Il est clair que les femmes se mettent en retrait et je crois qu’il y a une sorte d’auto-censure aussi. (…) Elles n’osent pas se dire qu’elles sont capables, qu’elles ont les mêmes compétences que les autres et qu’elles vont y arriver aussi bien, sans difficulté. »

Isabelle Gosse

« Je préciserais que dans ma promotion, en deuxième année à l’ENSC - Bordeaux INP, on est 52% de filles. Je pense que ça s’explique aussi par le fait que le système de recrutement est ouvert. Il y a des gens issus de classes préparatoires littéraires, de licence de biologie, etc. Mais on observe aussi que lors de la 3ème année, celle de la spécialisation, il y a encore cette stratification entre les secteurs.  En spécialisation «  Intelligence Artificielle »  on ne retrouve quasiment que des garçons, de même pour la section « Robotique » . A l’inverse, la spécialité « Augmentation et Suppléance de l’Humain » compte énormément de filles et c’est la spécialisation qui concerne plutôt le domaine médical, les soins. Nous retrouvons finalement les mêmes schémas. (…) Il y a une certaine logique dont on arrive pas à se détacher, c’est certain. »

Léa Le Moal

« Effectivement il y a un vrai problème chez les femmes de se convaincre qu’elles sont légitimes pour défendre un poste. Nous avons, de mon point de vue, l’héritage de signaux que l’on perçoit dès le plus jeune âge. (…) C’est cela qui fait que, lorsque l’on progresse dans les études, même si l’on est parfaitement compétentes, parfaitement légitimes, les premiers freins sont déjà là. Tout cela nous vient aussi et surtout d’une société qui nous renvoie régulièrement vers certains rôles, une certaine place, par exemple celle d’une mère qui attend gentiment son mari à la maison. C’est conscient ou inconscient, mais ce sont des signaux que l’on se prend en pleine figure depuis notre plus jeune âge. Et comme le démontre les chiffres, on se retrouve avec moins de femmes à des postes d’ingénieures et pire que ça, moins de femmes sur des postes à responsabilités. C’est là dessus à mon sens qu’il faut lutter, que nous devons travailler. »

Anouk Barrère

Et après le diplôme ? 

Selon la 29ème enquête IESF 201820,5%  des ingénieurs sont des femmes. Le salaire médian des ingénieurs en France est de 56 400 Euros par an en 2017. Pour les femmes ingénieures, il est inférieur entre 5% et 18%. 

Selon l'étude menée par l’association Elles Bougent en 2016, «  32% des ingénieures ont déjà été discriminées plusieurs fois à cause de leur sexe. (…) Les principales discriminations rapportées sont une moindre reconnaissance du travail accompli par rapport aux hommes, et des remarques sexistes répétées. » 

« J’ai toujours travaillé dans le milieu de la recherche académique. (…) Mis à part le moment où j’ai évolué vers un poste à responsabilités, qui est mon poste de directrice actuellement, je n’ai pas l’impression d’avoir particulièrement eu la sensation d’être plus aidée, ou à l’inverse freinée, par le fait d’être une femme ingénieure. Ni en tant que chercheure d’ailleurs. (…) Mais aujourd’hui je suis directrice, dans un monde de directeurs (…) Il est vrai que lorsque je rencontre des directeurs qui ne savent pas qui je suis, ce n’est pas leur idée première de penser que je puisse être directrice. Je suis régulièrement renvoyée à l’idée que c’est étrange de me trouver là. Nous (ndlr : en tant que directrices) allons être confrontées à des questions qui ne sont pas du tout malveillantes, mais de façon très spontanée, on imagine qu’une femme dans ce milieu-là ne peut être que enseignante, directrice des études éventuellement, mais en aucun cas directrice.(…) J’ai quand même l’impression que les choses évoluent dans le bon sens, les entreprises en ont pris conscience et essaie de promouvoir les métiers à responsabilités pour les femmes. Je souhaite rester positive mais il est vrai qu’il ne faut pas s’arrêter de défendre et de se battre pour dire que l’on est légitimes sur ces postes là. »

Isabelle Gosse

« Je vais faire, malheureusement, un constat peut-être un peu plus mitigé. J’ai environs 23 ans d’expérience et notamment sur des postes à responsabilités. (…) J’ai une anecdote qui a été un élément déclencheur dans mon expérience. Je suis spécialisée dans les problématiques de pollution et j’ai eu l’occasion de travailler à l’époque sur un site industriel qui avait généré une pollution très importante. J’y travaillais depuis plusieurs mois, j’avais mené des investigations importantes, mais je n’arrivais pas bien à identifier où se situait cette pollution. Et j’avais derrière moi toute une équipe de Recherche et Développement, des ingénieurs expérimentés, qui m’aidaient à consolider mon analyse. Je travaillais pour une société qui faisait appel à un expert pour effectuer une contre-expertise de mon travail. (…) Nous avons eu une confrontation où il me soutenait, avec des arguments inaudibles d’un point de vue technique, le contraire de ce que j’avançais. C’était terrible parce que c’était un homme d’un certain âge, avec beaucoup de prestance, il lui a été donné une caution technique. Je m’en suis aperçue pendant la confrontation que l’on a eu et cela a été extrêmement violent pour moi. Mais je n’étais pas toute seule, j’étais aussi la caution du travail d’une équipe entière d’ingénieurs qui m’avaient appuyé dans mon analyse. Cela m’a aidé à comprendre que j’étais légitime et que j’avais absolument raison de le contredire. Notre analyse était la bonne et nous avons trouvé la pollution. Cette anecdote c’est pour rappeler qu’il faut lutter contre ça. Dans mon quotidien je fais encore face à ce genre de situations, où il est compliqué de trouver sa place et sa légitimité. Les temps changent, mais je pense qu’il y a encore beaucoup à faire. »

Anouk Barrère

Favoriser l’intérêt des jeunes filles pour les sciences et lutter contre les préjugés

D'après l'étude menée par l’association Elles Bougent en 2016 et selon les femmes ingénieures interrogées, le désintérêt des jeunes filles pour les sciences peut s’expliquer par une « méconnaissance des métiers par les jeunes filles au moment de choisir leur orientation ». Isabelle, Anouk et Léa en sont convaincues : la féminisation de la profession est en bonne voie et elles estiment qu’il est important d’informer, de sensibiliser. 

« Je pense que ce sont des problématiques qu’il faut aborder, il faut justement informer les gens de cette réalité. Ouvrir les recrutements en école d’ingénieurs à des étudiants issus de milieux différents, ou encore éviter de cloisonner trop tôt les études, pourrait être une solution. (…) Il faut essayer de proposer au maximum des formations pluridisciplinaires, avec des spécialisations le plus tard possible. »

Léa Le Moal

«  Malheureusement aujourd’hui les reformes ne vont pas dans ce sens là et nous allons cloisonner les étudiants encore plus tôt. (…) Il faut que l’on continue à en parler, à en encourager les filles à aller plus loin. Nous devons leur montrer que c’est possible. Mais pour moi c’est un travail qui se commence très tôt, en amont de nos écoles d’ingénieurs. »

Isabelle Gosse

« Je pense que c’est bien de pouvoir en parler, comme nous le faisons aujourd’hui. C’est bien d’y associer également le genre masculin, car je pense qu’il y en a beaucoup qui sont convaincus par l’importance du sujet. (…) Il faut aussi lutter contre les propres blocages que nous, en tant que femmes, nous nous mettons.(…) J’encourage les femmes à se sentir légitimes, à casser ses freins, ses barrières. »

Anouk Barrère

Pour aller plus loin

  • Un article de Les Échos Start qui présente la vision des femmes ingénieures sur leur profession.
  • Les femmes ingénieures en chiffres par digiSchool.
  • Une étude de l’Observatoire des femmes ingénieurs, établie sur des données recueillies par l’IESF (Ingénieurs et Scientifiques de France)  
  • « Elles bougent » : association qui a pour but de faire découvrir aux jeunes filles la réalité du métier d’ingénieur dans le domaine des transports et de l’énergie.
  • « Ingénieuses » : une opération de communication nationale et un concours dont les objectifs sont de : promouvoir les formations et les métiers de l'ingénierie auprès du public féminin ; lutter contre les idées reçues et les stéréotypes de genre ; favoriser l'égalité femmes-hommes ; susciter des vocations d'ingénieures chez les jeunes filles.
  • Femmes ingénieurs : association qui a pour mission de promouvoir le métier d’ingénieur auprès des jeunes filles mais également de valoriser les femmes ingénieurs et scientifiques dans le monde du travail et dans les conseils d’administration.

*MESRI-SIES, Systèmes d’information SISE et Scolarité, enquêtes menées par le SIES sur les établissements d’enseignement supérieur, enquêtes sous la responsabilité des ministères en charge de l’agriculture, de la santé, des affaires sociales et de la culture. Résultats enquête 2018 RERS.

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